Pendant les 2 mois et demi de confinement, la Carmagnole solidaire a assuré 19 distributions alimentaires.
Ces distributions ont eu lieu à la Carmagnole d’avril à fin juin 2020, assurées par une quarantaine de bénévoles, dont des coopérateurs et coopératrices mais surtout des habitant.es du quartier.
Au total ce sont environ 6,5 tonnes de nourritures qui ont été distribuées et ont permis de nourrir, deux fois par semaine, entre 150 et 350 personnes, le nombre de bénéficiaires n’ayant cessé de croître. Une belle aventure collective, qui a contribué à ancrer la Carmagnole dans le quartier, grâce à la solidarité urgente et nécessaire en ces temps difficiles.
Tout a commencé suite à un article du Midi Libre où la Banque Alimentaire faisait part de ses difficultés à écouler les surplus frais des supermarchés depuis le début du confinement. En effet, la plupart des associations qui s’approvisionnaient chez elle ne pouvaient plus le faire. En effet, la plupart de leurs bénévoles, ayant plus de 65 ans, étaient strictement confiné.e.s chez elles/eux.
L’un de nos coopérateurs, Fred Ortiz, a donc proposé que la Carmagnole, qui possède une cour extérieure, organise des distributions alimentaires. Suite à l’accord du CA, il a donc signé une convention avec la Banque Alimentaire.
Fred Ortiz, Katia Poumey, Delphine Petit et Julien Landais ont pris en charge l’organisation des distributions sur toute la période, soutenu.e.s par la logistique Carmagnole.
Pour la première distribution, l’atelier Communication de la Carmagnole a diffusé l’information, via les réseaux sociaux, son site internet et des courriels ciblés aux associations avec lesquelles nous avons l’habitude de travailler. Une lettre électronique CarmaCoop a été envoyée à l’ensemble des coopératrices et coopérateurs pour faire appel aux volontaires, à l’exclusion des personnes de plus de 65 ans ou fragiles ou en contact avec les personnes fragiles.
Delphine a mis en place un framadate pour organiser la présence des bénévoles.
Au total, une quarantaine de bénévoles se sont mobilisé.e.s sur l’ensemble de la période, la plupart non-coopérateurs, et parmi lesquels nombre d’habitant.e.s du quartier (venu.e.s par bouche à oreille ou grâce à l’information du Facebook de la Carmagnole).
Un appel aux dons, en nature ou en argent, a été lancé pour compléter les denrées de la Banque alimentaire. Nous avons recueilli 3000€ qui ont permis à Chantal Ponsot et Nicole Berto de faire régulièrement des courses en complément. Des coopérateurs et des coopératrices ainsi que des personnes du quartier nous ont également apporté de la nourriture.
Très rapidement se sont posés des problèmes d’organisation :
1) gérer les files d’attentes qui se formaient de plus en plus tôt dans la rue Haguenot et gérer l’ordre de passage des bénéficiaires en évitant les conflits.
2) faire respecter les distances de sécurité et les gestes barrière pour éviter de mettre les bénéficiaires et les bénévoles en danger
3) limiter les nuisances pour le voisinage.
On ne connaissait rien à la distribution alimentaire. Il a donc fallu s’adapter et trouver des solutions au fur et à mesure que les problèmes se posaient. Le collectif a été essentiel : certain.e.s bénévoles ont vraiment pris les choses en main et constamment proposé des améliorations validées collectivement.
Nous avons mis en place 3 équipes, mobilisant en tout une douzaine de personnes à chacune des deux distributions hebdomadaires :
– une équipe 1 qui s’occupait d’inscrire les bénéficiaires le matin
– une équipe 2 qui allait chercher la nourriture
– une équipe 3 qui gérait la distribution
Les 3 dernières semaines, nous avons expérimenté un embryon d’autogestion : deux des bénéficiaires Elena et David ont pris en charge l’inscription des bénéficiaires dès 6h du matin pour la distribution de 14h.
Nous avions fait le choix de ne demander aucun justificatif aux bénéficiaires, contrairement à ce qui se fait dans d’autres associations comme les Restos du Coeur. La quantité de nourriture distribuée par personne reposait sur la déclaration du nombre d’enfants et d’adultes dans le foyer. Seule une limitation de 5 personnes maximum a été rapidement appliquée pour éviter l’inflation du nombre d’enfants déclarés par certains bénéficiaires…
Les bénéficiaires étaient au départ des gens du quartier. Rapidement la provenance géographique s’est élargie (allant jusqu’au Millénaire). Les étudiant.e.s présent.e.s au début ont disparu au bout d’un mois probablement pris en charge par d’autres structures ou étant retournés chez leurs parents.
La Boutique d’Ecriture & Co (association du quartier) nous a aidé à traduire nos affiches d’informations en plusieurs langues pour nos bénéficiaires dont les origines étaient variées : Maghreb majoritairement, mais aussi Albanie, Roumanie, Ukraine, Amérique latine, Afrique subsaharienne…
Au final, une belle aventure collective, qui a contribué à ancrer la Carmagnole dans le quartier, grâce à la solidarité urgente et nécessaire en ces temps difficiles.
Quelques témoignages de participants
Pierre
« J’ai participé aux distributions des 2 derniers lundis. Les produits étaient disposés sur des tables disposées en fer à cheval dans le couloir d’entrée, dans l’ordre du repas, légumes, laitages, fromages, plats composés, pains et pâtisseries, fruits. Un ami se trouvait à la table des pains et cartons de boissons afin d’aider au chargement des sacs à roulettes.
D’une fois sur l’autre la quantité de légumes a été très variable. Mis à part quelques fruits abîmés, les produits paraissaient corrects.
Les distributeurs étaient environ 7 (majorité de femmes), 3 à l’accueil des demandeurs qui recevaient les inscrits, leurs sacs, l’indication de la composition de la famille et les desideratas (refus des plats à la viande, de la présence d’alcool…), 3 au remplissage des sacs, le préposé au pain.
A l’extérieur, la foule des quelque 60 inscrites (surtout des femmes), du matin, plus des retardatrices non inscrites, avec sacs et cabas. Quelques refus (présence de viande, alcool). En fin de distribution, il faut gérer des bousculades.
Et à la fin, on range les tables et on plie bagages. Je n’ai personnellement pas vu qu’il y avait des gants à disposition. Pour le reste, ce me semble assez positif. »
Brigitte
« Dans la période du confinement quand j’ai lu la proposition de distribution alimentaire de La Carmagnole je n’ai pas hésité car j’avais du mal à ne rien faire de cette période si ce n’est la subir donc agir m’allait bien. J’ai participé à 13 distributions dans l’équipe 1 et 3.
Il me semble essentiel quand on agit envers d’autres personnes, que l’on appelle indistinctement des bénéficiaires, de se demander d’abord à soi-même pour quoi on le fait, quel bénéfice, plaisir ou autre on va en tirer, bref savoir pourquoi on va faire telle ou telle chose avec d’autres qui n’auront pas tou(te)s le même statut. Il y a ceux qui ont et ceux qui n’ont pas……
Une fois qu’on sait un peu où on est dans ce type d’histoire, on fait les choses, on agit avec les personnes et non pas pour les personnes. Les problèmes d’organisation qui se sont posés sont des difficultés de cohérence et c’est à partir de là que nous devons tirer les fils et nous demander quel sens ont les choses que l’on fait. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec la proposition, un peu tardive peut-être, de faire en sorte que ce soit les bénéficiaires eux-mêmes qui gèrent le flux des demandes.
Cela recouvre toute les tentations du « pouvoir que l’on a sur les autres » et la mise en place du système qui se révèle très pervers de l’assistanat. La dignité on peut la perdre vite dans ce type de situation et il est important pour rester debout de ne pas être condamné à l’assistanat voire à l’inexistence sociale, à l’absence de choix sur le minimum, à savoir la nourriture quand on a plus les moyens d’assurer sa subsistance.
Pour aller encore un peu plus loin on aurait pu mettre en place » une forme de marché « où les personnes, avec un protocole sanitaire précis, auraient pu avoir le choix elles-mêmes des denrées et de leur partage entre tous. Combien de fois je me suis sentie gênée de choisir pour d’autres personnes ce qu’elles auraient le droit ou la possibilité de manger……
Mais cela soulève sans doute la question des objectifs de La Carmagnole qui ne sont pas ceux d’un travail social digne et cela aurait nécessité une réflexion plus concrète pour organiser ce type d’action.
En tout cas cette aventure sera effectivement « un plus » pour La Carmagnole dans son intégration à la vie du quartier. »
Clara
« J’ai participé à la distribution d’urgence de la Carmagnole en tant qu’habitante du quartier. Une première expérience ailleurs ne m’avait pas plu. Et inscrite sur plusieurs listes, je ne recevais pas de nouvelles.
Je dirais que participer à une distribution alimentaire d’urgence n’est pas aisée, car il s’agit de s’organiser sur le tas et vite. Puis, comme toutes chose improvisée ou tout projet en construction, c’est avec les doutes, les errements, les fulgurances et réflexions satisfaisantes, les idées convenables du moment plus d’actualité ensuite ou pas aussi bien que pensées. Et évidemment, les humanités de chacun.e, donc les affects, la place d’où l’on vient, d’où l’on parle et agit, avec le COVID en donnée supplémentaire ici.
J’ai donc participé à cette action avec tout cela. Je suis passée de la non évidence au malaise à une relative sérénité ou habitude d’être là, avec des personnes différentes avec lesquelles je partageais un moment, côté réception comme côté distribution des denrées alimentaires. C’est aussi une rencontre, un échange faits de nos divers positionnements.
Je n’ai pas aimé me trouver à la place de donner à manger à des personnes, décider qu’est-ce que je donnais à qui, remplir des paniers pour d’autres, « avoir un espèce de pouvoir sur ». J’ai aimé discuter avec les personnes qui venaient chercher à manger, ne pas être d’accord, ne pas « s’apprécier », entendre leurs avis, chercher des solutions avec elles, rigoler, faire de l’humour sur la situation, se parler avec vivacité ou calme, se reconnaître sans se connaître vraiment.
J’ai apprécié la réactivité du groupe de distribution, le suivi, l’organisation et l’autonomie qui se mettaient en place au fur et à mesure. J’ai trouvé dommage que nous ne prenions pas le temps de faire une réunion commune pendant la période de distribution (celle de la fin je n’ai pas pu y venir). J’ai trouvé très bien que vers la fin, les personnes venant chercher à manger soient actrices aussi pour cette distribution, avec la prise en charge des listes d’inscriptions, comme tout du long elles participaient avec nous à temporiser et chercher des solutions aux diverses problématiques de la distribution. »